Le 16 juillet dernier, l’horreur s’abattait encore une fois sur le mont Châambi, à la frontière algérienne de la Tunisie. 15 soldats de l’armée tunisienne ont péri, 20 ont été blessés dans un assaut revendiqué par des groupes terroristes. Il s’agit du bilan le plus lourd à avoir été enregistré par l’armée depuis l’indépendance du pays en 1956. Affolée, l’opinion tunisienne a pressé le gouvernement à prendre des mesures pour que ces tueries ne se reproduisent plus. Mais les décisions prises par le Premier ministre, l’indépendant Mehdi Jomâa, font polémique.

C’est à l’heure de la rupture du jeûne que l’attaque aux mitrailleuses et RPG a été perpétrée contre les soldats assignés à la surveillance de la frontière algérienne. Le mont Châambi est un point stratégique de l’activité islamoterroriste. Entraînés par des Algériens membres d’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb Islamique), les djihadistes traqués par l’armée tunisienne vadrouillent des deux côtés des frontières et ont un solide entraînement militaire. Leur but est éminemment dangereux : créer une cellule Aqmi en Tunisie afin d’y organiser des attentats, comme l’écrit Jeune Afrique.

Le fait est connu. Il y a presque un an, jour pour jour, l’armée a fait l’objet d’une attaque presque similaire. Le 29 juillet 2013, huit militaires tunisiens ont été tués, égorgés et pillés par ces mêmes djihadistes. La douleur de ce souvenir est particulièrement vivace dans la mémoire des Tunisiens. À l’approche des élections législatives et présidentielles – respectivement en octobre et novembre prochain-, la Tunisie doit placer au centre de ses préoccupations la lutte contre un terrorisme qui tente de se faire une place de choix au sein du pays du Jasmin. On se souvient, à la mi-juin, du communiqué attribué à Al-Qaïda au Maghreb Islamique revendiquant l’attaque ayant visé fin mai 2014 le domicile du ministre tunisien de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou. Ce fut la première revendication de la nébuleuse islamiste en Tunisie.

Cette lutte n’est pas chose aisée. Le pays est encore fragile. Même si la Tunisie est connue pour avoir le « mieux » réussi sa révolution, il ne faut pas surestimer ses capacités et ne pas brusquer ses avancées.

  • Censure de la radio Nour et de la chaîne télévisée Al Insan, controversées par la HAICA

Suite à l’attaque du 16 juillet, Mehdi Jomâa s’est empressé d’agir. Comment ? En censurant. La fermeture de la radio religieuse Nour et de la chaîne télévisée (Al Insan) ont été décidées sur-le-champ. Dans la nuit du samedi au dimanche 20 juillet, dans un premier communiqué, le gouvernement a en effet annoncé « la fermeture immédiate des radios et télévisions sans licence et qui se sont transformées en (…) espaces pour le takfir (accusation d’apostasie) et l’appel au jihad. » Dans un deuxième communiqué, le gouvernement affirme avoir pris la décision de fermer lesdites stations avec l’accord de la HAICA, la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle. Bizarrement, celle-ci nie avoir été informée de cette décision. Nouri Lajmi, président de la HAICA, s’est étonné, sur la radio privée Shems FM, de cette décision qu’il dit avoir appris par les médias.

Sans nier que les chaînes censurées par le gouvernement tiennent des discours incitant à la violence, le président de l’Instance affirme qu’il faut respecter la loi, pour éviter tout abus « Quand l’Instance prend une décision, elle doit être motivée. Le décret-loi 116-2011 [portant sur la liberté de la communication audiovisuelle et sur la création de la HAICA] accorde des prérogatives à la HAICA, mais elle doit par exemple donner à l’institution concernée le droit de se défendre (…) La décision de fermer une institution télévisée ou radiophonique ne peut pas se faire du jour au lendemain », a-t-il ajouté. La HAICA se bat pour faire respecter sa mission. C’est, selon Néji Bghouri- le président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) – à elle de prendre les décisions de fermeture d’une chaîne, même non autorisée : comme c’est le cas de la station Nour. « L’argument selon lequel le média a été fermé, car il ne bénéficie pas d’une autorisation ne peut être valable, car dans ce cas, le gouvernement aurait dû fermer tous les médias dans cette situation », a-t-il soutenu.

  • « Ligne rouge » pour l’armée et fermeture de mosquées non « contrôlées par l’État »

D’autres mesures ont été prises. Elles interpellent d’autant plus qu’elles révèlent en fait l’impuissance du gouvernement apolitique de Jomâa à adopter des solutions concrètes. Au lieu de décider de fermer des mosquées dont le contrôle échappe à l’État, comme il a été proposé, ne devrait-il pas réfléchir à renforcer et contrôler la formation des imams ? Mohamed Ben Salem, un haut responsable du parti islamiste Ennahdha, majoritaire à l’Assemblée, s’est exprimé à ce sujet sur la chaîne de télévision privée Hannibal : « Je considère que la décision de fermer des mosquées est mauvaise parce qu’elle va ajouter au soutien populaire pour les terroristes (…). Changer les imams hors-la-loi, voilà la solution », a-t-il estimé.

De plus, comment interpréter le terme de « ligne rouge » évoqué par le gouvernement pour décrire la police et l’armée tunisienne ? Interdire à toute personne, parti ou institution de « dénigrer » les institutions militaire et sécuritaire sous peine de s’exposer à des poursuites judiciaires est-elle la solution pour mieux protéger l’armée ? En outre, Néji Bghouri a de son côté indiqué à l’AFP « refuser toute ligne rouge ». « Comment interpréter cette expression? Si demain un journaliste veut enquêter sur une affaire de corruption au sein de l’armée ou de la police, que se passera-t-il? »

Les mesures prises après l’attaque du 16 juillet ne sont en fait que très superficielles. En plus d’être polémiques, elles révèlent l’impuissance d’un gouvernement qui agit dans l’urgence, et qui est impuissant à prendre des mesures pérennes. C’est d’autant plus inquiétant que la réalité nous rattrape par la violence qu’elle impose.

Sonia Hamdi


Sources : 

  1. Huffington Post Maghreb – www.huffpostmaghreb.com/2014/07/23/terrorisme-tunisie-libertes_n_5612234.html?utm_hp_ref=maghreb
  2. Huffington Post Maghreb – www.huffpostmaghreb.com/2014/07/22/tunisie-gouvernement-fermeture-medias_n_5605307.html?utm_hp_ref=maghreb
  3. Huffington Post Maghreb – www.huffpostmaghreb.com/2014/06/13/tunisie-al-qaida_n_5491095.html