Le salafisme a été remis au-devant de la scène politique devenant un mot fourre-tout. Après les tragiques attentats du 13 novembre 2015, le gouvernement français a mis en place des actions pour lutter contre ce fondamentalisme religieux. Raphaël Liogier, professeur des Universités à Sciences Po Aix et spécialiste du fait religieux, n’est pas du tout d’accord avec cette nomination pour désigner les auteurs de l’action armée sur le sol français. Nous l’avons rencontré pour comprendre le phénomène du salafisme.

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Pour le sociologue, il y a deux phénomènes aujourd’hui : le néofondamentalisme, nommé communément salafisme, et le djihadisme.

Les Amish de l’islam

« Le néofondamentalisme dit salafiste ne correspond pas aux quatre grandes écoles juridiques de l’islam, c’est un phénomène plus global », explique le sociologue. « Les salafistes sont des personnes qui ressemblent aux Amish, dans le milieu protestant aux États-Unis. Ils veulent vivre comme à l’époque du Prophète. Ces gens s’habillent généralement comme des Bédouins de l’Hégire. Ils sont extrémistes sur les questions de mœurs, réactionnaires et dépolitisés. Ce néofondamentalisme présente une forme de communautarisme et de retrait de la société. Il y a donc un problème du point de vue sociétal. En revanche, les salafistes sont parfaitement opposés à toute forme de violence, en particulier au terrorisme parce qu’ils estiment que ce n’est pas traditionnel. Une démarche impure, car trop moderne. Ce phénomène de néofondamentalisme est complètement distinct du djihadisme, du rapport à la violence. Par ailleurs, cette tendance détourne les jeunes de la violence et se focalise davantage sur les questions de mœurs ». Ce néofondamentalisme serait donc une pratique religieuse littéraliste, dépolitisée et quiétiste.

Terrorisme islamiste « nouvelle version »

En revanche, Raphaël Liogier analyse le second phénomène comme du terrorisme islamiste « nouvelle version » :

« Dans les années 1980 et 1990, à l’époque d’Al-Qaïda, les individus qui mettaient en œuvre une action armée étaient des fondamentalistes. Ils passaient par une pratique intense de la religion et avaient une interprétation idéologique de la théologie. Aujourd’hui, c’est un djihadisme non-idéologique en ce sens que « nos » terroristes sont des petits délinquants aux vies dissolues avec des problèmes dans leur enfance, d’origine maghrébine généralement, qui ont une sorte de désir de vengeance sociale. Par ailleurs, si on prend tous les djihadistes qui ont opéré sur le sol français, de Mohamed Merah jusqu’à ceux impliqués dans les attentats du 13 novembre 2015, aucun d’entre eux n’est passé par une formation approfondie en théologie ni une intensification de la pratique religieuse. Ce ne sont pas du tout des fondamentalistes. Les points communs entre tous ces individus sont la frustration et le désir de vengeance. Ils ont tous été quasiment des petits délinquants et veulent devenir des caïds, des héros. Les dirigeants de Daech ont bien compris que le recrutement ne passe plus par la cohérence idéologique, mais par le désir de vengeance et le sentiment d’héroïsme. Leurs codes vestimentaires ne correspondent pas non plus aux néo-fondamentalistes. Ils arborent plutôt un style néo-afghan avec des tenues sombres et kaki donnant l’impression d’être de véritables guerriers  ». Par ailleurs, il est important de faire le distinguo entre les personnes à la tête de Daech – idéologues avérés – et celles impliquées dans les attentats.

On confond les deux phénomènes : pourquoi ? 

Un débat terminologique s’est accru depuis les attentats de Paris, pourtant, la distinction entre le salafisme fondamentaliste et le terrorisme islamiste parait évidente. La question mérite d’être posée : comment sommes-nous arrivés à mélanger les deux ?

« Depuis les années 2000, en Europe, on est obsédé par nos identités française, allemande, britannique », décortique le spécialiste du fait religieux. « Les Européens ont été le centre de gravité symbolique, culturel, politique de l’humanité. Ce n’est plus le cas depuis quelques années. C’est pour cela que nous avons vu émerger de nouveaux partis qui considèrent que l’islam est une menace pour notre identité. Dès que l’on voit une femme portant un simple foulard ou un homme qui se laisse pousser la barbe, on pense que ce sont de potentiels terroristes. À chaque fois, on a l’impression que c’est une atteinte à nos valeurs. On confond absolument tout. En raison de notre pathologie collective, on n’arrive pas à faire un bon diagnostic. Faute d’utiliser le bon remède, le problème n’est donc pas résolu. »

Pour ce qui est du retour du religieux dans la société moderne, selon Liogier, la réponse réside dans la décomposition des grandes valeurs du monde moderne : « Les grandes valeurs attachées au monde moderne sont en train de s’effriter. Cet effondrement fait que les individus, musulmans ou autres cherchent à s’enraciner dans une foi, dans une spiritualité pour essayer de continuer à rêver et de donner un sens à leur vie. On l’observe dans le développement des sectes New Age, par exemple, ou du bouddhisme en occident. Chez des individus d’origine maghrébine, généralement, leur idée de s’enraciner va de pair avec l’imagination d’un islam pur avec toute une esthétique autour. Une pratique religieuse teintée d’extrême, car, en général, ce sont des jeunes – encore plus durs – qui adoptent celle-ci. Ce réinvestissement du spirituel existe dans toute la société. Sauf que chez le musulman, ça se voit notamment par l’excentricité vestimentaire ».

 

Propos recueillis par Nikita IMAMBAJEV

 

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