#NotInMyName, un cri de révolte britannique, à l’écho controversé en France. Représentants religieux, professeurs, analystes, membres associatifs, militants, diverses voix se font entendre dans l’espace médiatique. Samia Hathroubi, membre de la Foundation For Ethnic Understanding et professeur d’histoire, fait partie du gratin des personnages publics qui se sont exprimés sur la question. L’activiste fait le point sur l’actualité et nous parle du premier réseau judéo-musulman d’Europe.
Vous travaillez pour une organisation du nom de Foundation For Ethnic Understanding. Quels sont vos principaux axes de travail ?
Les objectifs sont au nombre de trois. Le premier objectif est la défense de droits qui sont parfois remis en question par les pays membres ou l’Europe elle-même. Prenons l’exemple de l’année dernière : le Danemark avait interdit l’abattage rituel au sein du pays. Dans la foulée, l’Ukraine a adopté les mêmes directives. Les communautés musulmane et juive sont les premières cibles de ces instructions. Dans ces cas là, soit, nous sommes alertés du problème par lesdites communautés, soit, on vient vers celles-ci pour essayer de mettre une stratégie optimale d’action. De ce fait, la fondation a mené une campagne à la fois locale et européenne. En ce qui concerne l’épisode danois, nous avons rencontré le président du Conseil de l’Europe et le Ministère d’Agriculture danois. Une pétition a également été mise sur pied qui est, d’une part, transeuropéenne et, d’autre part, judéo-musulmane. La fondation a également fait du lobbying politique avec l’envoi d’une délégation auprès des ambassades afin de faire entendre la voix des minorités et affirmer le droit de culte.
Le second objectif est de lutter contre l’antisémitisme et l’islamophobie de façon conjointe. À chaque acte raciste, nous avons une remontée d’informations par les partenaires locaux. Des échanges de rapports et d’états des lieux se font régulièrement avec les différents acteurs sur le terrain. Cette année, nous avons mis l’accent sur l’islamophobie et l’antisémitisme, car les chiffres démontrent une recrudescence de ces phénomènes. Je tiens également à signaler que nous ne sommes pas du tout un mouvement sectaire. Le but étant de sensibiliser l’Europe et de faire passer le message suivant : prenez des mesures nécessaires face à ces aggravations racistes, car c’est le cœur même de l’Europe qui est mis en branle. Il faut remarquer que la parole se débride au sein du Parlement européen. Lors de notre conférence organisée le 29 septembre, nous avons eu des discussions avec des parlementaires et le leader néerlandais de l’extrême droite était présent.
Le troisième et dernier objectif est le « weekend of twinning ». On promeut la création de différents projets intercultuels dans toute l’Europe. Que ce soit à Bruxelles, à Florence, à Washington, à Vienne ou en Grande-Bretagne, nous avons pour but de créer des ponts entre les différentes communautés.
Et en France ?
Le travail est miné en France, et c’est un euphémisme. Certains individus ont, dans le dialogue, souvent mélangé le politique et le religieux. Ce qui a créé un tas de confusions. On m’a souvent posé la question d’affiliation à une institution en France. Les noms de l’UOIF et du CRIF reviennent régulièrement. Il est important de remarquer que nous n’avons aucun contact avec les institutions. Ni en France ni en Europe. Par contre, dans le cadre de notre travail, j’ai des liens avec des individus que ce soit Mohamed Bajrafil, membre de l’UOIF tout comme l’imam de la mosquée de Cergy qui est indépendant. Nous ne prenons pas le risque de nous associer politiquement à telle ou telle institution sous peine d’être étiquetés.
Lors de votre conférence organisée le 29 septembre au Parlement européen, comment ont été perçus les tragiques évènements en Palestine par les différentes parties prenantes à ce débat ?
Lors de ces évènements tragiques, nous avons vécu des moments de crise et de crispation entre les juifs et musulmans européens. Au sein de la fondation, nous avons eu un vrai dialogue que ce soit aux États-Unis ou avec les partenaires de France, d’Italie et de Grande-Bretagne. Pour résorber cette question, des actions locales ont été mises en place. On peut avoir des positions différentes et je pense que cette crise à Gaza a cristallisé les avis des uns et des autres. Nous avons eu énormément de tensions, mais la communication ne s’est pas rompue. Aucun des membres n’a quitté le rassemblement lors des échanges.
Dernièrement, la campagne « #NotInMyName », lancée par de jeunes musulmans britanniques, s’est imposée dans le paysage médiatique français en réponse à la décapitation d’Hervé Gourdel. La communauté musulmane s’est divisée en deux. Certains l’ont salué et d’autres y voyaient comme une réaction suicidaire qui ne ferait que nourrir l’amalgame islam-terrorisme. De quel oeil voyez-vous ce genre de campagne ?
La différence entre la Grande-Bretagne et la France, c’est que nous n’avons pas de réflexion sur notre identité et de la façon dont on l’aborde dans l’espace public. Afzal Khan, l’un de nos partenaires britanniques, n’a jamais caché sa religiosité lorsqu’il était maire de Manchester ni en tant que personnage public, ni actuellement en tant que parlementaire européen. Là où les Britanniques ont pu contester les exactions terroristes avec leur référentiel religieux et identitaire, les Français, par contre, sont sommés de gommer leur identité. Nous n’avons pas cette affirmation en France et c’est pour cela, je pense, qu’il y a eu un malaise. On leur demande quotidiennement d’être que Français et, d’un coup, on exige, de la part des citoyens de confession musulmane, une expression avec leur identité religieuse. D’un autre côté, il y a eu aussi des Français lambda qui se sont posé la question : « Pourquoi parlent-ils en tant que musulmans ? »
Le fait que les autorités religieuses prennent des positions claires était, à mon sens, une bonne chose. Je trouve malvenu le procès, à l’encontre des représentants religieux, qui tend à dire qu’ils s’excusaient pour les tueries perpétrées par les terroristes. Les expressions « on s’excuse » ou « on se justifie » ne sont jamais apparues. C’était vraiment une volonté de clarification, une manière de couper l’arbre sous le pied aux extrémistes sensibles à ces propagandes sauvages.
Il y a une diversité de positions au sein de la communauté musulmane
On a reproché également aux instances religieuses de faire des sorties médiatiques seulement lorsque des otages européens sont exécutés. Or la barbarie de l’État islamique dure déjà depuis quelques mois…
On a tendance à mettre de la lumière sur l’État islamique parce que ses sympathisants s’en sont pris à des minorités religieuses. La puissance française a eu, historiquement, la casquette de garant de la sécurité des chrétiens d’Orient. La sphère politico-médiatique faisait profil bas lorsqu’il s’agissait des chiites ou de sunnites. Si la communauté internationale a réagi de cette manière-là, c’est aussi parce que l’otage tué était un français. Il ne faut pas se mentir. Les tueurs savaient également qu’en tuant un ressortissant occidental, ils créeraient du remous et une réaction de la part des États visés. Cependant, je ne pense pas qu’il faut en vouloir aux instances islamiques. Les autorités religieuses ont une place dans la cité. Elles peuvent comprendre les appréhensions à la fois de leur communauté religieuse et de la communauté nationale. À chaque sortie médiatique, il faut prendre en compte de différents horizons de lecture. Il est essentiel de répondre à toutes les interrogations. D’une part, dissuader des personnes instables au sein de la communauté confessionnelle de partir en Syrie et en Irak et, d’autre part, de mettre de la lumière sur ce qu’est véritablement l’islam et ainsi d’éviter toute confusion.
Je comprends également les gens qui sont frileux à cela et voient une intériorisation de suspicion de laquelle les musulmans sont convoqués à s’en dédouaner. Ce que l’on peut ressortir de cette dualité, c’est qu’il y a une diversité d’opinions et de positions au sein de la communauté musulmane française. Attention toutefois aux dérives. Je pense notamment au débat sur BFM TV qui était une espèce de joute entre deux individus issus de la même communauté qui n’étaient pas d’accord politiquement en essayant de décrédibiliser l’autre.
En été dernier, les musulmans de France ont exprimé leur solidarité pour le peuple palestinien. Ces soutiens ont été arborés comme étant des propos antisémites. Lors de cet épisode, par contre, le Figaro, entre autres, organisait un sondage questionnant ses internautes sur la suffisance de la mobilisation musulmane. Est-ce qu’il y a un double jeu médiatique en France ?
Nous sommes schizophrènes dans ce pays (rires) ! Je pense qu’en France, et aussi en Belgique dans une moindre mesure, nous avons cette schizophrénie identitaire qui finira par nous éclater à la figure. On ne peut plus faire l’économie de ce qu’est le fait religieux. Dans l’espace médiatique, d’une part, on rappelle sans cesse la particularité ethnique ou religieuse d’un individu et, d’autre part, on nous assigne d’abandonner toute particularité identitaire notamment religieuse…
Du coup, est-ce que nos intimes convictions doivent avoir une place dans notre revendication citoyenne ?
Est-il possible d’avoir des engagements sans intimes convictions, sans être porté par ce qu’on est ? Je ne crois pas. C’est tout ce qui me porte, c’est-à-dire mon histoire personnelle et familiale, qui me sensibilise entre autres aux questions minoritaires. Il serait dangereux de penser que seule une de nos identités nous met en mouvement. La sphère politique est l’exemple type. Lorsque l’on nous informe qu’une personne issue de la diversité a été nommée à une telle place, je me fous de le savoir. Ce qui m’intéresse, c’est la diversité de parcours au sein de nos élites politiques. Or, on constate que ce sont toujours les mêmes parcours. Je refuse d’être liée à une seule de mes particularités identitaires. Et l’universalisme, qu’est-ce qu’on en fait ? Il en faudrait à nous, et à notre pays afin d’éviter le danger de la division.
Propos recueillis par Nikita Imambajev