Alors qu’ils étaient déjà sept ce vendredi 31 mai, deux autres djihadistes français ont été condamnés à mort par le tribunal de Bagdad – le 2 juin 2019 -, pour appartenance au groupe terroriste Etat Islamique. Alors que les avocats des accusés et les médias s’offusquent, la réponse de l’État français se fait attendre. D’autres États européens vont sans doute rencontrer cette situation délicate dans les mois à venir.

Ce lundi, une tribune signée par 45 avocats a été publiée par le site FranceInfo.fr, dénonçant les conditions dans lesquelles s’est déroulé le procès qui a vu neuf Français être condamnés à mort par pendaison pour appartenance au groupe terroriste Etat Islamique. En cause, la rapidité du procès, comme le rapporte l’article de FranceInfo sur le sujet, les audiences n’auraient duré qu’une heure lors du procès de dimanche dernier, qui a vu deux Français être condamnés à la peine capitale. Les deux accusés n’auraient eu que quelques minutes pour se défendre. Les avocats français des accusés condamnent eux des conditions de travail qui empêchent la bonne défense de leurs clients.

Selon l’article de FranceInfo, les avocats ne peuvent pas consulter le dossier de leurs clients avant l’ouverture du procès, et ne peuvent pas communiquer avec ces derniers avant ce moment-là. Mais ce simulacre de démocratie a suffi au ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui s’est exprimé à ce sujet vendredi dernier devant l’Assemblée nationale. Il a présenté à l’hémicycle le procès qu’il a qualifié “d’équitable”. Cette réaction nous mène à nous poser la question suivante : peut-on vraiment parler d’équité d’un procès quand on est ministre d’un pays ayant aboli la peine de mort il y a près de quarante ans, et que certains des ressortissants français sont condamnés à la peine capitale dans ce même procès ? Quid.

Jean-Yves Le Drian, après cette déclaration qui aura fait débat, a néanmoins rappelé lors de son allocution qu’il restait opposé à l’application de la peine de mort. “La question de la peine de mort reste intacte, nous y sommes totalement opposés. C’est un principe intangible, mais ça vaut pour l’Irak comme ça vaut pour les États-Unis, comme ça vaut d’ailleurs pour les pays qui aujourd’hui ont en charge huit condamnés à mort en plus des sept dont nous parlons (NB : ils sont neuf désormais)” a ajouté le ministre. Cette dernière phrase sonne comme un rappel du soutien de l’État dans la lutte pour la remise de peine de Serge Atlaoui, condamné à mort en Indonésie en 2007 pour trafic de stupéfiants, et dans le couloir de la mort depuis cette date, en attente d’une révision de sa peine.

L’histoire dessert la cause des djihadistes

Pour rappel, Serge Atlaoui, Messin d’origine, avait été arrêté en 2005 dans l’usine dans laquelle il travaillait, puis condamné en 2006 à la prison à perpétuité. Sa peine sera confirmée en appel, puis alourdie avec une condamnation à la peine de mort après un pourvoi en cassation en 2007. Très vite, l’affaire est très médiatisée, et Serge Atlaoui doit d’être encore en vie à sa femme et ses avocats, qui auront fait recours sur recours, appels sur appels, et interjections sur interjections. L’Indonésie est par ailleurs connue comme étant l’un des pays les plus stricts en termes de lutte contre le trafic de drogues. L’histoire d’Atlaoui, ainsi que le combat de tous les instants de sa femme et de ses avocats auront permis aux médias de s’en servir, et d’interpeller l’État français sur le sujet. Lors de son mandat, François Hollande aura ainsi transmis dans une lettre à l’intention de son homologue indonésien Joko Widodo une demande de remise de peine. Cette dernière n’aboutira pas, tout comme les demandes de grâce présidentielle formulées par le clan Atlaoui, toutes refusées. Au fil du temps, le capital sympathie des Français à l’égard de l’homme de 55 ans n’aura cessé d’augmenter, tout comme le soutien des autorités françaises. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères de l’époque, Romain Nadal, ira même jusqu’à dire en 2015 que Serge Atlaoui “n’est pas un trafiquant de stupéfiants”.

Mais alors, quel est le rapport avec les djihadistes français condamnés à mort dans l’affaire ? Eh bien, ils n’ont pas l’histoire ni l’opinion publique à même de pousser les autorités françaises à forcer une décision différente de la part du tribunal de Bagdad, à l’inverse de l’affaire Atlaoui comme elle est appelée désormais. Dans les sociétés occidentales, le trafic de drogue, bien que sévèrement réprimandé, n’est pas considéré comme un crime aussi grave que celui d’appartenir à un groupe terroriste. En Indonésie, la politique du président Joko Wikodo, fraîchement réélu, met en priorité la chasse aux trafiquants de drogue. Pour ce qui est des neuf djihadistes français condamnés à mort, l’État français certes lutte contre la peine de mort, mais ne cherche pas à faire prévaloir la présomption d’innocence de ses ressortissants, condamnés sur les seules bases d’aveux faits lors d’interrogatoires pour certains, alors que de nombreuses organisations dénoncent l’utilisation de la torture au sein du régime irakien lors de ces fameux interrogatoires. Les protestations qui se font, le sont de la part des journalistes et avocats qui ont signé la tribune dont nous parlions, protestant contre ce semblant de procès, pourtant qualifié “d’équitable” par Jean-Yves Le Drian. Dans la même veine, 37 condamnés à mort pour “terrorisme” ont été exécutés le 29 avril dernier en Arabie Saoudite. Ces exécutions avaient été relayées dans les médias et condamnées par Amnesty International, sans qu’aucune instance politique ne réagisse à cet acte néanmoins.

Les condamnés à mort méritent-ils tous autant cette peine ?

Toutes ces informations et tous ces exemples nous amènent à nous demander : certains condamnés à mort méritent-ils autant de l’être que d’autres dans la même situation, au regard de l’opinion publique ? Dans le cadre des exemples que nous avons pu voir, il est clair que l’opinion publique se manifestera plus pour essayer de sauver la vie d’un Serge Atlaoui que celles des présumés djihadistes français. Mais pour autant, dans ces deux cas, les accusés ont été condamnés dans des parodies de procès, et aucune preuve flagrante de leur culpabilité n’a été apportée. Mais alors, est-il normal, sur le point moral au moins, de voir l’État français batailler corps et âme pour la libération de Serge Atlaoui, certains hommes politiques jurant même de son innocence, alors que ce même État ne va que contester la condamnation à mort des djihadistes condamnés en Irak, sans jamais s’interroger sur les conditions de leurs procès jugés par tous les observateurs extérieurs comme n’étant pas dignes d’un tribunal ? Le questionnement serait alors le suivant : y a-t-il des condamnés à mort moins défendables que d’autres ? La question ne se poserait même pas si dans le monde entier le droit inaliénable de vivre n’était entravé par des lois allant même jusqu’à retirer la vie.

Léopold Court