« En France, la plupart des femmes noires et d’origine maghrébine coiffent leur cheveux frisés ou crépus en modifiant leur nature ». C’est le constat que soulève Rokhaya Diallo dans son ouvrage « Afro ! ».
110 parisiens, femmes, hommes et enfants, d’ascendance africaine au sens large (subsaharienne, caribéenne, arabe, berbère, etc.) adeptes du cheveu crépu, frisé, des tresses ou encore dreadlocks, témoignent de leurs expériences capillaires. Ces portraits, parmi lesquels se trouvent ceux de Claudia Tagbo, Amandine Gay, Sebastien Folin, Casey, Mouloud Achour ou encore Youssoupha, sont signés par la photographe Brigitte Sombié.
On remarque alors que le cheveu afro soulève de nombreuses questions politiques, identitaires et liées à l’estime de soi.

Nappy, traduction de « crépu » et contraction des mots « natural » et « happy », désigne ce mouvement de retour aux cheveux naturels mené par de nombreuses femmes noires. Né aux États-Unis dans les années 2000, il conquit le web puis les podiums de Dakar à Paris. Un concours a même été créé afin de « rendre hommage à la beauté naturelle des Noires et à leurs incroyables cheveux » comme le précise Valérie Bonnefons, l’organisatrice de Miss Nappy.
Ainsi, de nombreuses astuces pour prendre soin de ses cheveux circulent sur des blogs, forums, réseaux sociaux  et chaînes Youtube. Ces conseils beauté permettent à de nombreuses femmes, peu habituées à s’occuper de leurs cheveux frisés et/ou crépus, à passer le cap du retour au naturel. Et si le cap est si difficile à franchir pour certaines, c’est qu’il va à l’encontre d’une norme esthétique très pesante.

Déconstruire le canon de beauté occidental

Finalement, il y a toujours eu des personnes qui ont fait le choix de porter leurs cheveux naturels. Le mouvement Nappy a simplement permis de mettre en lumière ces visages trop peu présents dans les médias de masse. En effet, la grande majorité des célébrités noires telles que Rihanna, Michelle Obama ou encore Naomi Campbell arborent des cheveux lisses correspondants aux critères de beauté dominants. Les cheveux frisés et/ou crépus sont alors perçus comme non-coiffés, négligés et non acceptables. Il n’y a cas voir les commentaires qu’a suscité la coupe afro de Miss Martinique lors du concours Miss France 2016.

Certains témoignages d’afropréens rapportent également des difficultés vécues dans le cadre de leur profession. Défrisage ou port de perruque requis ou encore remarques désobligeantes de collègues voire de patron sont autant d’expériences violentes subies au travail. Aboubakar Traoré, stewart à Air France, avait d’ailleurs saisi la compagnie aérienne en 2012 suite à une mise à pied jugée discriminante. Le port de fines tressés plaquées sur sa tête était qualifié de « pas assez classique » par la compagnie. En effet, Air France demande à ses stewards d’être « coiffés de façon extrêmement nette. Classique et limitée en volume, la coiffure doit garder un aspect naturel. » Or, cet aspect « naturel » des cheveux afro du stewart ne semble visiblement pas correspondre à la définition de la compagnie.

Ce trait physique est encore lourdement stigmatisé et dénigré, exclu du « beau ». Le psychiatre et penseur Franz Fanon invitait dans ses ouvrages les populations colonisées à se défaire des images dépréciatrices de soi qui leurs furent imposées. Le contexte colonial était marqué par une domination extrêmement hiérarchisée, notamment du corps et des cheveux, comme le souligne Maboula Soumahoro, civilisationniste. Il est alors d’autant plus difficile de se détacher de ces représentations du « beau » car elles constituent une intériorisation séculaire. Le portrait de Fatima Aït Bounana, professeur de Lettres dans un collège de Bobigny, montre que le manque de modèles accentue cette difficulté : « Madame, quand je vous ai vue avec vos cheveux d’arabe frisés, ça a été une révélation pour moi. C’est comme si vous étiez arrivée pour moi… » témoigne Jade, l’une de ses élèves.

Je me mettais des serviettes sur la tête… toutes les petites filles noires de France et de Navarre ont joué à ce jeu. Ça dit beaucoup sur l’influence de la majorité qui, en nous dictant le beau, allait vraiment à l’encontre de notre nature de cheveux. [Aïssa Maïga]

Les cheveux sont politiques

La lutte des afro-américains contre le racisme et pour l’égalité des droits aux États-Unis dans les années 60 était portée par le mouvement Black Power. La coupe afro, popularisée par les Black Panthers dans les années 70 et incarnée par Angela Davis, devenait alors un objet de fierté et une forme de résistance et d’affirmation identitaire. Le célèbre slogan « Black is beautiful ! » exprimait l’idée selon laquelle il était important pour eux d’être égaux en droit et égaux en beauté. La révolution politique passait également par une révolution esthétique où les afro-américains affirmaient leur droit d’exister, leur différence et leur droit d’exister dans cette différence.
Nombreux sont les témoignages présents dans le livre « Afro ! » qui évoquent la question identitaire. Pour ces afropéens, arborer ses cheveux naturels est également vécu comme un moyen de revendiquer ses origines et son afro-ascendance.

Être soi, bien dans sa peau, fier de ses cheveux

Nelly Siby, comptable
Portrait de Nelly Siby, comptable

Si pour une partie du mouvement Nappy le retour au cheveu naturel est intrinsèquement politique, il reste majoritairement le résultat d’une volonté de se défaire des traitements extrêmement nocifs présents dans les produits de lissage ou défrisage, pouvant mener jusqu’à l’alopécie. Il symbolise la liberté d’être soi, de ne plus se conformer à une injonction et d’affirmer une esthétique conforme à sa nature profonde, jusque-là entachée.
Toutefois, comme dans tout mouvement, il y a le risque de basculer dans l’extrême. En effet, c’est le cas de ce que la blogosphère a appelé les « Nappex », contraction de « nappy » et « extrémiste ».

Elle qui était fana des coupes à la Rihanna il y a encore quelques semaines se permet maintenant de juger très sévèrement celles qui le sont encore, une fois qu’elle est devenue Nappy.

De ce fait, un mouvement d’opposition entre femmes noires s’est créé et le retour au naturel n’est plus perçu comme un nouveau départ pour des cheveux sains mais comme un marqueur fort d’appartenance à une communauté. Les Nappex tiennent alors des propos virulents envers les couples mixtes, qu’elles assimilent à une négation identitaire, et à l’encontre du défrisage, considéré comme « un signe de la domination du Blanc sur le Noir ».

Ces jugements de valeur et accusations violentes proférées par les Nappex vont à l’encontre de la liberté de chacun. De plus, il serait véritablement réducteur de définir la personnalité des gens à travers le regard porté sur leurs cheveux.
La beauté du mouvement Nappy est de permettre aux femmes souhaitant assumer leurs cheveux naturels de le faire de manière décomplexée. Il ne s’agit pas de « remplacer un diktat par un autre en stigmatisant l’usage des différentes techniques de lissage ou  les personnes qui en sont adeptes » comme le souligne Rokhaya Diallo.
Alors que vous soyez Nappy, défrisée, tressée ou encore que vous portiez un tissage, l’important est d’être libre de ses choix et de ne plus se sentir intimidée.

Yasmine Mrida